Le conflit d'intérêts dans un conseil d'administration
Que vous siégiez sur le conseil d’administration d’une entreprise, d’un syndicat de copropriété, d’un organisme sans but lucratif (OSBL) ou d’une coopérative, les situations de conflit d’intérêts peuvent facilement miner le fonctionnement de votre conseil, susciter la frustration de vos actionnaires ou de vos administrés et même paralyser votre organisme.
Rappel de l’encadrement juridique de la notion et des mesures à mettre en oeuvre pour éviter ces situations délicates.
Définir le conflit d’intérêts applicable
En raison de son caractère subjectif, le sens donné à l’expression “conflit d’intérêts” peut varier selon le cadre législatif et règlementaire particulier. Par exemple, un ordre professionnel pourrait définir la notion de conflit d’intérêts applicable dans la pratique de ses professionnels (avocats, comptables, architectes, etc.). Autre exemple, une loi relative à la fonction publique ou un guide de prévention interne de l’Agence du revenu du Canada pourrait définir cette notion de manière légèrement différente.
Une auteure rappelle les différents degrés de manifestations d’un conflit d’intérêts, soit apparent, potentiel ou réel :
« Enfin, le conflit d’intérêts pourra être réel, potentiel ou apparent. Le conflit d’intérêts est réel lorsqu’une personne voit ses intérêts personnels existants entrer en conflit avec ceux dont elle a la charge. Le conflit d’intérêts potentiel tient à la notion de prévisibilité. Il y aura possibilité de conflit dès que la personne se rend compte qu’elle a un ou des intérêts susceptibles d’entrer éventuellement, et de manière raisonnablement prévisible, en conflit avec ceux dont elle a la charge. Quant au conflit d’intérêts apparent, il survient lorsqu’il y a de la part d’une personne bien informée, une crainte raisonnable de conflit entre le(s) intérêt(s) de l’agent et celui (ceux) qu’elle représente (sans égard au fait que cela soit le cas ou non en réalité) ».
C. Piché, Définir, prévenir et sanctionner le conflit d’intérêts, 2013, 47-3 Revue juridique Thémis de l'Université de Montréal, pp. 497-532, aux p. 508-509.
Votre organisme pourrait donc définir le conflit d’intérêts selon des degrés de manifestation qui lui sont acceptables, en raison de sa mission, de ses objectifs et de ses contraintes. Une définition trop large pourrait inclure des situations de conflit d’intérêts qui sont seulement apparentes, sans être réelles ou potentielles. Au contraire, une définition trop étroite exposerait votre organisme, copropriété ou votre coopérative a ne pas identifier des situations de conflits qui devraient pourtant être évitées.
Il reste que tout désaccord dans un conseil n’est pas automatiquement en lien ou la source d’un conflit d’intérêts. Il est normal que des divergences d’opinions et des dissidences se manifestent entre administrateurs, sans pour autant les qualifier de conflit d’intérêts.
Quelle que soit la définition retenue, nous croyons que celle-ci devrait inclure les éléments suivants :
Toute situation réelle, potentielle ou apparente, dans laquelle,
un.e administrateur.rice pourrait, en raison de son intérêt personnel, être enclin à se favoriser ou favoriser des personnes (physiques ou morales) qui lui sont liées,
et au détriment de l’intérêt de l’organisme et de ses administrés.
L’intérêt personnel de l’administrateur et son devoir de loyauté
Que ce soit en vertu des différentes dispositions du Code civil du Québec, de la Loi sur les coopératives, des lois applicables aux OSBL québécois ou canadiens, ou d’une déclaration de copropriété d’un immeuble administré par le conseil d’administration d’un syndicat de copropriété, il est attendu qu’un administrateur ne se mette jamais dans une situation où son intérêt personnel risquerait d’entrer en conflit avec les intérêts de la personne morale qu’il administre. L’administrateur ne doit pas être face à un choix, car aucun choix ne lui est réellement permis : l’intérêt de la personne morale doit toujours prévaloir dans la conduite de son mandat d’administrateur et dans ses décisions.
Bien que les dispositions pertinentes des différentes lois applicables peuvent varier, les attentes du législateur vis-à-vis des administrateurs demeurent donc similaires. L’administrateur est avant tout un mandataire des administrés, et la loi lui impose d’agir avec loyauté, honnêteté, prudence et diligence, et dans le meilleur intérêt de ceux-ci. Il doit prévenir toute situation de conflit d’intérêt, en amont, et ne pas délibérer et décider avec le reste du conseil d’administration dans un contexte où sa loyauté envers la personne morale est affectée.
La prise d’intérêt conflictuel est limitée à l’intérêt personnel de l’administrateur. On ne peut présumer qu’un administrateur agirait en conflit d’intérêts du seul fait qu’il soit amené à siéger sur des organismes parentés ou en lien avec l’organisme qu’il représente. Sans cela, le fonctionnement légitime d’un conseil d’administration pourrait être souvent ralenti, voir même paralysé.
Mieux vaut prévenir que guérir : l’obligation de divulgation et les mesures utiles
Entre administrateurs, la transparence et la loyauté sont des principes fondamentaux. L’administrateur doit agir en amont en divulguant toute prise d’intérêt personnel qui pourrait l’amener à se trouver dans une situation de conflit d’intérêts. Cette obligation de divulgation est fondamentale dans le cadre d’une saine gouvernance d’un conseil d’administration. Cette divulgation préventive permettra à l’administrateur concerné d’éviter les sanctions consécutives à un conflit d’intérêts, comme le fait de ne pas participer aux délibérations et aux discussions sensibles.
L’intérêt personnel s’appréciera quant aux détails qui seront donnés par l’administrateur aux autres membres du conseil d’administration. Selon l’auteur Paul Martel, cet intérêt à être divulgué doit être réel et substantiel, et non simplement théorique et aléatoire.
Plusieurs mesures utiles peuvent également être mises en oeuvre en amont par votre conseil d’administration afin d’éviter au mieux les situations de conflit d’intérêt et encadrer leur résolution :
Dès le début de leur mandat, les administrateurs devraient signer un code d’éthique et s’y conformer pendant leur mandat. Ce code pourrait décrire précisément les conditions de divulgation d’un conflit d’intérêt, et indiquer la procédure à respecter, ainsi que les sanctions en cas de contravention.
Une politique de conflits d'intérêts peut être clairement définie et s’appliquer aux membres du conseil d'administration. Un telle politique peut inclure des procédures afin de traiter et résoudre de telle situation.
Des mesures restrictives peuvent aussi être décidées, à même cette politique. Par exemple :
Interdire aux administrateurs de participer à certaines discussions ou prendre des décisions dans lesquelles ils ont un intérêt financier ;
L'ampleur et la nature des affaires que les membres du conseil sont autorisés à mener avec l'organisation peuvent y être prévues ;
le conseil d’administration pourrait avoir besoin de recourir à une assemblée de ses membres ou de ses copropriétaires avant de pouvoir prendre une décision pour des enjeux au-delà d’un certain montant ;
Les organisations concurrentes sur lesquelles les membres de votre conseil ne pourraient pas siéger pendant leur mandat peuvent être indiquées ;
Le fonctionnement du conseil peut aussi inclure des mécanismes de contrôle entre administrateurs, et la création de contre-pouvoirs pour empêcher qu'un seul membre du conseil ait trop de pouvoir ou d'influence, au détriment des autres ;
Selon la nature et la mission de votre organisation, la durée et le nombre de mandats successifs des administrateurs pourraient être limités, assurant ainsi une meilleure rotation au sein du conseil d’administration, ce qui peut apporter des perspectives nouvelles dans votre organisme, tout en minimisant le risque de conflits d'intérêts ;
Enfin, une telle politique pourrait prévoir un examen des conflits d'intérêts potentiels par un tiers indépendant, tel un consultant, un avocat ou un notaire spécialisés en gouvernance des conseils d’administration.
Conclusion
L’évitement des situations de conflit d’intérêt est un exercice constant, qui doit reposer sur des conditions bien établies. Dans les cas sérieux de conflit d’intérêts impliquant un intérêt personnel de l’administrateur, c’est-à-dire celui qui relèvent d’un profit ou d’un avantage patrimonial pour cet administrateur, il est impératif de procéder à une divulgation transparente et non pas le faire à contre-temps.
Dans cette matière comme dans bien d’autre, il faut donc que les conseils d’administration demeurent vigilants et fassent preuve de discernement.
Nous pourrons vous orienter dans cet exercice et vous aider à analyser toute situation de conflit d’intérêts qui surviendrait dans votre organisme…. Et comment la résoudre.
Judilex Avocats – vos droits, notre expertise.