Coopérative d'habitation : la clause de départ du locataire.

Le caractère distinctif d’une coopérative d’habitation

Au Québec, les locataires disposent d’un droit au maintien dans leurs logements, si ils respectent leurs obligations inscrites dans les baux (par exemple : payer le loyer entièrement et sans retard, ne pas troubler la jouissance des autres locataires, respecter les règlements d’immeuble ou la destination résidentielle du logement, etc.). Ce principe fondamental du droit du logement connait toutefois certaines exceptions, comme le droit du locateur de reprendre le logement pour se loger ou y un loger un membre de sa famille.

Jusqu’en 2022, la nature associative, corporative et contractuelle d’une coopérative d’habitation était aussi l’une de ces exceptions.

En effet, ce qui prévaut dans une coopérative d’habitation est le fait que le locataire est un membre d’une coopérative : il adhère aux règles de fonctionnement coopératives édictées par la Loi sur les coopératives, le règlement de régie interne de la la coopérative et son contrat de membre. Pour être admise comme membre d’une coopérative, une personne doit donc également être partie à un bail (article 221.1 de Loi sur les coopératives).

Historique

Une coopérative d’habitation bénéficie donc d’un régime particulier à titre de locateur. Ce régime particulier a été souligné dans quelques décisions importantes.

En 2002, la Cour d’appel du Québec, dans l’affaire Coopérative d’habitation Jeanne-Mance c. Landry, décidait que la relation contractuelle entre le membre et la coopérative ne permettait pas à la Régie du logement (le Tribunal administratif du logement, son nouveau nom depuis 2020) d’annuler la décision du conseil d’administration de la coopérative de l’exclure à titre de membre : ce tribunal administratif, en vertu de sa loi constitutive, n’a pas la compétence pour en décider, ce qui relève du pouvoir de contrôle d’une décision d’une personne morale que seule la Cour supérieure, un tribunal judiciaire, peut exercer.

Dans la lignée de cet arrêt de la Cour d’appel, la Cour du Québec appliquait ce régime particulier des coopératives en ayant à décider de l’application d’une clause de départ. Dans l’affaire Coopérative d’habitation Le Rouet c. Sergio Herrera, M. Herrera avait été exclu comme membre. Or, son bail et son contrat de membre incluaient une clause qui précisait que le locataire ayant perdu ses droits de membre s’engageait à quitter son logement à la fin du bail courant.

En appel de la décision de la Régie du logement rendue dans ce dossier, la Cour du Québec apportait trois réponses aux questions soulevées par ce cas :

 1. la locatrice, en tant que coopérative d'habitation, peut effectivement adopter un règlement qui oblige un locataire qui cesse d'être membre de la coopérative à quitter le logement à la fin de son bail.

2. les articles 1945 et 1955 du Code civil du Québec (qui distinguent une coopérative et obligent le locataire qui refusent les modifications à son bail à quitter son logement à la fin de celui-ci) s'appliquent aussi aux locataires qui ont perdu en cours de bail leur statut de membre. Contrairement à ce qui fut décidé par la Régie du logement, les locataires non-membres ne peuvent donc pas s’adresser à la Régie du logement en prétextant qu’ils ne sont plus membres de la Coopérative, car cela équivaudrait à leur donner plus de droits que les membres de la Coopérative eux-mêmes.

3. la décision confirme que la Régie du logement n’a pas juridiction pour réviser, directement ou indirectement, la décision prise par l'assemblée générale des membres de la coopérative d'augmenter le rabais-membre dont ils bénéficient sur le paiement de leur loyer.

La clause de départ invalide depuis 2022

Bien que la validité de la clause de départ ait été constamment reconnue par de nombreuses décisions du Tribunal administratif du logement depuis le jugement de la Cour du Québec dans l’affaire Le Rouet, quelques décisions isolées depuis 2018 ont nuancé la portée d’une telle clause (voir par exemple cette décision rendue le 15 octobre 2021).

En 2022 et 2023, trois jugements de la Cour supérieure ont déclaré illégale la clause de départ, en concluant que celle-ci ne constitue pas une exception admissible au droit au maintien dans le logement. Deux de ces jugements sont soumis à un appel. La Cour d’appel du Québec se prononcera bientôt, et ce jugement à venir sera d’une importance capitale pour le fonctionnement des coopératives d’habitation.

Comme c’est le cas pour d’autres domaines du droit, l’interprétation des tribunaux dans cette matière n’est donc pas figée dans le temps et elle pourra évoluer.

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