Le préavis de fin d'emploi : la raisonnabilité de l'article 2091 C.c.Q.
Lorsque un employeur doit mettre fin au contrat de travail à durée indéterminée d’un employé, les circonstances factuelles seront déterminantes afin de gérer ce congédiement de manière appropriée. Elles le sont aussi pour évaluer le préavis raisonnable qui peut être dû à cet employé.
L’article 2091 du Code civil du Québec prévoit cette mesure lors de la fin d’emploi. Cet article s’applique à tout contrat individuel de travail à durée indéterminé au Québec :
2091. Chacune des parties à un contrat à durée indéterminée peut y mettre fin en donnant à l’autre un délai de congé.
Le délai de congé doit être raisonnable et tenir compte, notamment, de la nature de l’emploi, des circonstances particulières dans lesquelles il s’exerce et de la durée de la prestation de travail.
Ce préavis, ou délai de congé, existe essentiellement afin de permettre à l’employé d’être indemnisé par la perte de son emploi. L’objectif est de permettre à l’employé d’avoir suffisamment de temps pour chercher et trouver un emploi comparable. Les critères pour déterminer le montant d’un tel préavis raisonnable sont nombreux :
nature, fonctions occupées et importance du travail ;
le fait que l'employé a quitté un emploi certain et rémunérateur;
l'intention des parties;
la difficulté de trouver une autre position d'égale importance ou comparable;
le nombre d'années de service de l'employé et son âge;
le niveau d'instruction de l'employé;
la formation de l'employé;
l'avenir à long terme au sein de l'entreprise.
Ces critères de détermination du préavis ont été largement reconnus par la jurisprudence, qui les applique invariablement, selon le cas. En règle général, le critère le plus déterminant demeure la durée de l’emploi de l’employé congédié. Sans qu’il soit permis de parler de règle mathématique, le tribunal pourrait calculer le préavis en appliquant un “barème” informel de 2 à 4 semaines de salaire (brut) par année d’emploi de l’employé, tout en conservant un plafond rarement dépassé de 24 mois de salaire, pour les employés qualifiés de cadre supérieur ou dirigeant salarié d’une entreprise.
Cela étant, la détermination du délai de congé reste une question factuelle et la discrétion du tribunal peut intervenir, dans un sens comme dans l’autre. La Cour d’appel du Québec a souvent rappelé cette difficulté dans plusieurs affaires. C’est notamment le cas dans l’arrêt Standard Broadcasting Corp, sous la plume du juge Baudouin :
“[...] Ce qui constitue un délai-congé raisonnable, dans l'hypothèse d'un contrat à durée indéterminée, est essentiellement une question de fait qui varie avec les circonstances propres à chaque espèce, à partir d'un certain nombre de paramètres connus: nature et importance de la fonction; abandon d'un autre emploi pour l'acquérir; âge, nombre d'années de service et expérience de l'employé; facilité ou difficulté de se retrouver une occupation identique ou similaire; recherche subséquente d'un travail; existence ou inexistence de motifs sérieux au congédiement ...
Le délai-congé a essentiellement une vocation indemnitaire et a pour but de permettre à l'employeur de résilier le contrat. [...]. Les tribunaux agissent alors comme des arbitres et doivent parvenir, en dehors d'une stricte évaluation actuarielle ou comptable, à un chiffre qui, tenant compte de toutes les circonstances, paraît juste et raisonnable. Ce chiffre cependant se base bien évidemment sur certaines données économiques, notamment le montant de la rémunération antérieure de l'ex-employé.
[...] Il ne faut surtout pas stériliser la jurisprudence par une adhésion aveugle à des soi-disant «normes» [...] et donc de garder une indispensable souplesse, garante d'une meilleure justice individuelle.
Un délai-congé raisonnable dépend donc des circonstances propres à chaque espèce et d'une impressionnante conjonction de facteurs [...]. L'autorité du précédent doit donc être jaugée ici avec circonspection, même si les nombreuses décisions en la matière, par leur sagesse collective, apportent des points de comparaison intéressants.”
Il appartient cependant à l’employé de démontrer qu’il a tenté de réduire les dommages associés à l’absence ou l’insuffisance d’une indemnité payée tenant lieu de préavis.
Cette mitigation des dommages est d’ailleurs un impératif, bien que les circonstances particulières de l’employé puissent alléger cette obligation. En pratique, une telle obligation signifie que l’employé congédié doit faire un effort raisonnable pour se retrouver un emploi dans le même domaine d'activités ou un domaine connexe. Également, il ne peut pas refuser d'offres d'emploi qui, dans les circonstances, seraient raisonnables. Mais là aussi, le tribunal pourra considérer les difficultés inhérentes à l’employé, ou son âge, pour conclure si l’employé a suffisamment mitigé ses dommages avant de réclamer au tribunal le paiement d’un délai de congé.
Ce fut d’ailleurs le cas en 2013, dans l’arrêt Standard Desk Inc., où la Cour d’appel a considéré l’âge avancé d’un employé au moment de son congédiement (75 ans), avant d’infirmer la décision de la Cour supérieure quant à ce point précis, et conclure que tout effort de cet employé pour retrouver un emploi comparable à son âge aurait été voué à l’échec.
Ses principes peuvent s’appliquer différemment en matière de contrat de travail encadré par une convention collective ou par un décret de convention collective. Et dans le cas de la rupture d’un contrat de travail à durée déterminée, l’indemnité généralement dû à l’employé se calculera plutôt selon le salaire convenu pour la solde de la durée du contrat.
ll peut donc être difficile pour l’employeur d’évaluer précisément ce que serait un délai de congé raisonnable, avant de le proposer à l’employé dont le contrat prend fin.
Le congédiement d’un employé est une décision qui doit être réfléchie et motivée. Il peut être intéressant pour un employeur d’offrir un préavis plus généreux que raisonnable, en contre partie d’une transaction négociée et d’une quittance le mettant à l’abri de tous recours de l’employé.
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